En droit suisse, pour qu’il y ait diffamation ou calomnie selon les art. 173 CP et 174 CP, il faut que l’auteur s’adresse à un tiers (extraneus). Est en principe considérée comme tiers toute personne autre que l’auteur et l’objet des propos qui portent atteinte à l’honneur.

Ainsi, régulièrement, la question suivante se pose : l’avocat est-il un tiers par rapport à son client ou un “confident nécessaire”? En d’autres termes, le client se rend-il coupable de diffamation lorsqu’il communique à son avocat des propos portant atteinte à l’honneur d’autrui?

Dans la première hypothèse, le client qui communiquerait à son avocat des propos attentatoires à l’honneur d’autrui s’adresserait a un “tiers” et se rendrait de ce fait coupable de diffamation ou de calomnie. Dans la seconde hypothèse, le client s’adresserait alors à son avocat en qualité de “confident nécessaire” et, à défaut de s’adresser à un tiers, les infractions de diffamation ou de calomnie ne seraient simplement pas envisageables.

Sur cette question notamment, la majorité de la doctrine considère que le cercle des personnes considérées comme des “tiers” au sein des art. 173 CP et 174 CP devrait être limité. Dans certains de ses arrêts, le Tribunal fédéral envisage également que, selon les circonstances, l’avocat pourrait être considéré comme un “confident nécessaire”. Par exemple, lorsque le client peut compter sur le fait que les informations données à son avocat seront gardées confidentielles par ce dernier et ne seront pas utilisées par lui dans sa stratégie de défense. Il en irait de même lorsque l’on peut sérieusement mettre en doute qu’un courrier contenant des propos attentatoires à l’honneur, envoyé par l’avocat à la partie adverse, l’a été avec l’accord du recourant (arrêt 6S.171/2003 du 10 septembre 2003 consid. 1.3). Toujours-est-il que le principe posé par le Tribunal fédéral dans sa jurisprudence reste à ce jour que l’avocat doit, sauf exceptions, être considéré comme un tiers au sens des articles 173 CP et 174 CP (6B_974/2018 du 20 décembre 2018 consid. 2.3.1; 6B_318/2016 du 13 octobre 2016 consid. 3.8.2 et 6B_491/2013 du 4 février 2014 consid. 5.2).

Dans un arrêt du 9 septembre 2019 6B_127/2019 publié ce jour, le Tribunal fédéral se penche à nouveau sur cette problématique. Il est cette fois question d’un client X qui communique à son avocat des propos potentiellement attentatoires à l’honneur d’une partie adverse, le recourant A. L’avocat de X va ensuite utiliser ces information pour rédiger un courrier à l’adresse du recourant. Ce dernier dépose donc plainte contre le client X pour calomnie et diffamation, mais le Ministère public n’entre pas en matière. Puis, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève rejette le recours de A, au motif notamment que l’avocat de X serait son “confident nécessaire” et non un “tiers”. Dans cette configuration, le Tribunal fédéral maintient sa jurisprudence, tout en examinant la question de l’existence de circonstances particulières – non réalisées à ce stade de la procédure – qui auraient pu faire de l’avocat un “confident nécessaire” de son client :

En l’espèce, les faits constatés par l’arrêt entrepris ne permettent pas de penser que X.________ aurait communiqué des propos susceptibles d’être attentatoires à l’honneur du recourant à son avocat en comptant sur le fait que ce dernier ne les communiquerait pas plus loin. Au contraire, au vu du courrier du 8 août 2017 adressé au recourant par l’avocat de X.________, il n’apparaît de loin pas exclu que ce dernier ait transmis ces informations dans le but que son avocat s’en serve à l’attention du recourant notamment. L’avocat ne saurait dans ces conditions être considéré comme un ” confident “. Il était par conséquent exclu, qui plus est préalablement à toute instruction, de nier que l’avocat de X.________ puisse avoir la qualité de tiers. L’autorité précédente ne pouvait en conséquence confirmer le refus d’entrer en matière pour ce motif sur les chefs d’accusation de diffamation et de calomnie” (surligné par le rédacteur).

Il faut donc retenir de ce qui précède que, dès lors que le client compte sur le fait que son avocat puisse utiliser les propos attentatoires à l’honneur dans le cadre de son mandat, l’avocat ne peut plus être perçu comme un “confident nécessaire” mais doit être considéré comme un “tiers”. Le client, en s’adressant à son avocat, s’adresse donc à un “tiers” au sens des articles 173 et 174 CP et les infractions de diffamation et calomnie seront réalisées pour peu que les propos soient effectivement attentatoires à l’honneur d’autrui, voire mensongers dans le cas de la calomnie.

La seule défense dont le client pourra encore se prévaloir dans une telle situation sera, lorsque les propos diffamatoires sont vrais ou tenus de bonne foi pour vrais (ce qui n’est jamais le cas de la calomnie), la mise en oeuvre des preuves libératoires de l’art. 173 ch. 2 et 3 CP :

  1. Démontrer qu’il avait un intérêt prépondérant à communiquer ces faits à son conseil (art. 173 ch. 3 CP)
  2. Démontrer la véracité de ces faits ou les raisons sérieuses qu’il avait de les tenir de bonne foi pour vrais (art. 173 ch. 2 CP)

Mais en attendant, avocat “tiers” ou “confident nécessaire” ? In dubio pro extraneo !

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