Un nouvel arrêt de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral RR.2019.191 du 22 avril 2020 nous rapporte une affaire où le Portugal demandait à la Suisse, sur la base de la Convention européenne d’extradition (CEExtr), d’extrader une ressortissante capverdienne pour être jugée à raison d’un brigandage commis en 2007 (pour un montant d’un peu plus de € 900).

La CEExtr impose aux Etats membres – dont la Suisse et le Portugal – de se livrer réciproquement les individus poursuivis pour une infraction ou recherchés aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté par les autorités judiciaires de l’Etat requérant. Conformément aux principes de la bonne foi en droit international public et pacta sunt servanda la Suisse à l’obligation de respecter les obligations découlant de ses engagements internationaux. Ainsi, des exceptions à l’obligation d’extrader ne sont admises que si elles sont prévues par les dispositions de la CEExtr ou par d’autres règles internationales. Dès lors, dans une affaire où le Portugal demande l’extradition à la Suisse, seule une autre règle internationale, contraignante pour le Portugal et pour la Suisse peut, s’agissant de motifs particulièrement graves, justifier un refus exceptionnel d’extrader.

De ce fait, il est particulièrement difficile de s’opposer à une requête d’extradition basée sur cette Convention. C’est pourtant ce que vient de reconnaître la cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral en se fondant sur l’article 8 CEDH.

L’article 8 CEDH, dont l’équivalent se trouve à l’art. 13 Cst, garantit à toute personne le droit fondamental au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. S’il ne donne pas le droit de résider sur le territoire de l’État ou de ne pas en être expulsé ou extradé, une extradition peut, dans certaines circonstances, conduire à une violation de l’art. 8 CEDH dès le moment où elle a pour conséquence de détruire les liens familiaux. Ainsi, la jurisprudence a régulièrement mis en avant la grande importance du droit fondamental des personnes privées de liberté à entretenir des contacts suffisants avec leurs plus proches parents, la protection des droits fondamentaux s’appliquant également, en principe, aux personnes poursuivies en vertu de la législation relative à l’extradition et dans le cadre de l’applicabilité de la CEExtr .

Ici, la personne dont l’extradition était demandée était une mère de trois enfants de 11, 13 et 15 vivant soit auprès d’elle soit non loin d’elle en Suisse, et qui se trouvait dans une situation “tout à fait exceptionnelle” de l’avis de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral, si bien que celle-ci refusera finalement l’extradition. Voyez seulement : “La prénommée, nonobstant sa précarité financière, ses limites éducatives et une certaine fragilité est le point de repère de ses enfants; le SPJ faisant état, d’une part, de sa pleine collaboration lors de la conduite des diverses actions mises en place et, d’autre part, du fait que les difficultés de ses enfants « se retrouveraient multipliées par l’éloignement de leur figure d’attachement principale » (act. 1.18, p. 2). Certes, le père de C. et de D. dispose de l’autorité parentale conjointe et verse une pension alimentaire, mais il délègue également ses obligations vis-à-vis de ses enfants à leur mère qui est, en pratique, la personne de référence. S’agissant de E., même si elle a été placée en raison de ses problèmes comportementaux, elle aura vraisemblablement besoin du soutien de sa mère, les liens avec son père étant, a priori, inexistants. Quant à C., qui habite avec sa mère, qui n’a pas de problèmes éducatifs particuliers et qui partage un lien fusionnel avec sa mère, elle risque de voir son état psychologique se dégrader, les séparations avec sa mère créant en elle – selon les autorités de protection de la jeunesse – de l’insécurité et de l’inquiétude. Enfin, en ce qui concerne D., il est certes entouré par une équipe pluridisciplinaire au foyer G., mais il maintient des contacts réguliers avec sa mère puisque cette dernière l’accueille régulièrement à la maison pendant des fins de semaine prolongées (du vendredi ou lundi selon le calendrier du SPJ pour les mois d’avril et mai 2019 [act. 1.12]). Dans ces circonstances, extrader A. aboutirait, de facto, à l’éclatement de la famille et à la destruction des liens familiaux; le maintien de relations par voie téléphonique ou épistolaire s’avérant particulièrement difficile, voire impossible, tout particulièrement pour D. qui souffre d’un lourd handicap. Une ingérence d’une telle gravité viole ainsi l’art. 8 CEDH sous l’angle du respect de la vie familiale. De plus, l’extradition de la recourante, réduirait à néant les efforts entrepris depuis 2011 par le SPJ afin de rétablir et consolider, dans les meilleures conditions possibles, la fonction parentale de la prénommée qui a permis par ailleurs le retour de E. et C. auprès de leur mère après 4 ans de placement.

Le recours est donc admis et la décision de l’Office fédéral de la Justice (OFJ) qui accordait l’extradition au Portugal annulée.

Un arrêt qui consacre une hypothèse reconnue, mais qui est rarement retenue, ce qui explique pourquoi il doit être savouré sans modération.

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