Le droit au procès équitable c’est aussi le droit absolu de l’accusé de pouvoir interroger les témoins à charge. 

Démonstration par notre Haute Cour !

Revenons en effet sur un arrêt important du Tribunal fédéral, 6B_1028/2020, rendu le 1er avril 2021 dans une affaire vaudoise.

A. La situation de départ

Le recourant est poursuivi pour violation grave à la Loi sur les stupéfiants, blanchiment d’argent et infraction à la LEI.

Pour l’incriminer, l’accusation se fonde dans une large mesure sur les déclarations de C, une mule prétendument active dans le même réseau de trafiquants, déjà entendue et condamnée dans le cadre d’une procédure séparée.

En première instance, l’accusé est condamné à une peine privative de liberté de 13 ans.

En procédure d’appel, l’accusé demande l’audition de la mule qui l’incrimine afin d’exercer son droit de poser des questions à un témoin à charge.

En effet, l’article. 6 ch. 3 let. d CEDH garantit le droit de tout accusé de poser des questions à un témoin à charge et d’obtenir des réponses.

Cette disposition prévoit que tout accusé a droit, notamment à : « Interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge »

Lors de l’audience d’appel, la Cour d’appel a décidé d’entendre la mule en qualité de personne appelée à donner des renseignements. Or, conformément aux droits rattachés à ce statut, la mule va faire usage de son droit à garder le silence.

Conséquence : l’accusé se retrouve dans de facto privé de son droit d’interroger un témoin à charge et d’en obtenir des réponses. Et sa condamnation est confirmée dans les grandes lignes.

C’est sur ce point, soit en particulier la violation du droit au procès équitable du recourant, que porte le recours au Tribunal fédéral.

En effet, pour le recourant, la mule aurait dû être entendue en qualité de témoin, ce qui l’aurait alors obligée non seulement à répondre, mais surtout à dire la vérité.

B. Le raisonnement du Tribunal fédéral

Le raisonnement du Tribunal fédéral s’articule en cinq temps.

Il va d’abord commencer par se demander qui peut se plaindre du fait qu’une personne a été interrogée sous un mauvais statut procédural (1). Ensuite, il va analyser la portée du droit à la confrontation (2) et de ses exceptions (3), avant de répondre à la question de savoir sous quel statut un coprévenu déjà jugé doit être entendu (4) et enfin appliquer ces principes au cas d’espèce (5). Ainsi :

1. Qui peut se plaindre du fait qu’une personne a été entendue sous un mauvais statut procédural ?

Pour le Tribunal fédéral, en principe, seule la personne interrogée peut se plaindre du fait de n’avoir pas été interrogée sous le bon statut. Il précise toutefois rapidement que le juge doit cependant tenir compte dans le processus d’administration des preuves du fait que les déclarations de la personne appelée à donner des renseignements n’ont pas été faites moyennant l’obligation de dire la vérité et n’équivalent dès lors pas à un témoignage stricto sensu, ce qui peut porter atteinte à l’appréciation conforme au droit des moyens de preuve, si bien que le prévenu sera admis à démontrer qu’il en découle un préjudice pour lui-même (arrêt 6B_952/2019 du 11 décembre 2019 consid. 2.3, publié in SJ 2020 I 237). Ainsi, le prévenu doit aussi pouvoir se plaindre, que le coprévenu a été entendu en une fausse qualité, dans la mesure où cela l’a privé du droit d’interroger un témoin à charge.

2. Quelle est la portée du droit de l’accusé d’interroger un témoin à charge ?

Pour le Tribunal fédéral, rappelant les principes posés par la CourEDH :

  • Le droit d’interroger un témoin à charge (droit à la confrontation) à une portée absolue ;
  • Il exclut qu’un jugement pénal soit fondé sur les déclarations de témoins sans qu’une occasion appropriée et suffisante soit au moins une fois offerte au prévenu de mettre ces témoignages en doute et d’interroger les témoins, …
  • …. à quelque stade de la procédure que ce soit ;
  • Il s’applique aussi lorsque le témoin contesté ne représente pas la preuve unique ou une preuve essentielle, mais seulement un indice qui – seul ou avec d’autres – accuse le prévenu et qui peut être déterminant pour le verdict de culpabilité.

3. Y a-t-il des exceptions à ce droit à la confrontation ?

Oui, mais à titre tout à fait exceptionnel.

Le Tribunal fédéral rappelle en effet qu’il ne peut être renoncé à une confrontation de l’accusé avec le témoin à charge ou à un interrogatoire complémentaire que dans des circonstances particulières, telles que le décès du témoin, voire l’invocation « à juste titre » du droit de refuser de déposer.

Toutefois, dans ces cas, il sera nécessaire que la déposition soit soumise à un examen attentif, que le prévenu puisse prendre position à son sujet et que le verdict de culpabilité ne soit pas fondé sur cette seule preuve.

Surtout, les autorités ne devraient pas non plus être elles-mêmes responsables du fait que l’accusé n’ait pas pu exercer ses droits.

4. Sous quel statut faut-il entendre un coprévenu déjà jugé ?

En qualité de témoin.

A ce sujet, le Tribunal fédéral rappelle sa jurisprudence suivant laquelle « une personne qui a fait l’objet, à l’issue d’une procédure distincte, d’un jugement entré en force à raison des faits à élucider ou de faits en relation avec ceux-ci doit en principe être entendue en qualité de témoin, les articles 162 ss CPP étant appliqués par analogie (ATF 144 IV 97) ».

5. Application de ces principes au cas d’espèce ?

Appliquant enfin ces principes au cas d’espèce, le Tribunal fédéral va encore analyser 1) si la mule devait être entendue en qualité de témoin, 2) si l’accusé a été privé de son droit de lui poser des questions et 3) si son témoignage était déterminant dans la condamnation de l’accusé.

Et il va y répondre trois fois par l’affirmative, comme suit :

« 1.3.1. En l’occurrence, le recourant a demandé à être confronté à C.________, ce que la cour cantonale a accepté. Entendue par la cour cantonale en qualité de personne appelée à donner des renseignements, C.________ a souhaité garder le silence et a refusé de déposer (art. 180 al. 1 CPP; jugement attaqué p. 4). Le recourant n’a dès lors pas pu l’interroger sur les déclarations qu’elle avait faites lors de l’enquête. Condamnée de manière définitive dans une procédure séparée, C.________ aurait toutefois dû être entendue comme témoin (ATF 144 IV 97 consid. 2 et 3 p. 100 ss). Interrogée en cette qualité, elle aurait dû déposer sous la menace de la peine prévue à l’art. 307 CP en cas de faux témoignage et n’aurait pas pu invoquer son droit au silence, sous réserve des exceptions légales à l’obligation de témoigner. Le recourant aurait pu ainsi lui poser des questions complémentaires sur les faits de la cause. En interrogeant C.________ en qualité de personne appelée à donner des renseignements et non en tant que témoin, la cour cantonale a en conséquence privé à tort le recourant de la possibilité de lui poser des questions. 

1.3.2. La déposition de C.________ – qui a agi comme “mule” et a remis la drogue au recourant selon le jugement attaqué – a joué un rôle déterminant dans la condamnation du recourant. A la page 25 du jugement attaqué, la cour cantonale renvoie aux transactions et quantités décrites par C.________ lors de son jugement de condamnation. Elle se réfère également à son audition du 28 mars 2019 devant le ministère public, lors de laquelle elle a déclaré avoir remis l’entier de la drogue transportée au recourant et à personne d’autre (PV audition n° 24). En analysant les données extraites du téléphone portable du recourant et en les comparant avec les dates des transactions fournies par C.________, elle a conclu que le recourant avait un lien avec la réception de cocaïne des 29 septembre, 5, 13 et 18 décembre 2017, puisqu’à ces dates-là, à savoir quand la mule C.________ se trouvait en Suisse, il avait effectivement eu des contacts avec le numéro d’un organisateur. 

1.3.3. En définitive, l’impossibilité d’interroger le témoin ne repose pas sur un motif sérieux, mais sur une application erronée de la jurisprudence fédérale par la cour cantonale. En outre, la condamnation du recourant repose pour l’essentiel sur le témoignage de C.________; il n’est à cet égard pas nécessaire que celui-ci soit la seule preuve, mais il suffit qu’il constitue une preuve déterminante. La condamnation du recourant sans qu’il n’ait jamais eu la possibilité d’interroger le témoin à charge a donc porté atteinte à son droit d’être entendu et à la garantie d’un procès équitable. Le recours doit être admis sur ce point. »

Cet arrêt nous rappelle le rôle central du droit d’être entendu pour que le procès soit jugé équitable.

Il nous rappelle aussi qu’il est en principe exclu de prononcer un verdict de culpabilité en se fondant sur la déposition d’une personne qui n’a pas pu être interrogée par l’accusé, voire qui s’est tue…

… tout comme un Tribunal ne peut déduire du droit au silence de l’accusé sa culpabilité !

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