Il est des actes de procédure qui doivent impérativement être réalisés dans un délai donné, au risque de ne plus jamais pouvoir être répétés. Tel est le cas du recours en matière pénale au Tribunal fédéral notamment, qui doit être déposé dans un délai de 30 jours dès la notification de la décision attaquée.

Selon l’art 48 al. 1 de la Loi sur le Tribunal fédéral (LTF), les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l’attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse. Le délai est ainsi réputé respecté lorsque l’acte de recours est remis à un bureau de poste suisse le dernier jour du délai, soit jusqu’à 23h59. Il appartient toutefois au recourant de prouver que le délai a été respecté, si bien que le dépôt par courrier recommandé – qui permet d’attester de la date de l’envoi, puis de son suivi jusqu’à sa réception par le destinataire – est fortement recommandé.

En effet, la date du dépôt d’un acte de procédure est présumée coïncider avec celle du sceau postal (ATF 142 V 389 consid. 2.2 ; 124 V 372 consid. 3b). La partie qui prétend avoir déposé son acte la veille de la date attestée par le sceau postal a cependant le droit de renverser cette présomption par tous moyens de preuve appropriés (ATF 142 V 389 consid. 2.2 ; 124 V 372 consid. 3b ).  

Il est des circonstances où, selon les impératifs de la procédure, les aléas du dossier ou une consultation le dernier jour du délai, le mandataire n’arrive pas à déposer le recours avant la fermeture des guichets de la poste, lesquels ne restent pas ouverts jusqu’à 23h59. Que faire alors ?

Pour le Tribunal fédéral, est notamment admissible, à titre de preuve, l’attestation de la date de l’envoi par un ou plusieurs témoins mentionnés sur l’enveloppe concernée (ATF 142 V 389 consid. 2.2). La présence de signatures sur l’enveloppe n’est pas, en soi, un moyen de preuve du dépôt en temps utile, la preuve résidant dans le témoignage du ou des signataires; il incombe dès lors à l’intéressé d’offrir cette preuve dans un délai adapté aux circonstances, en indiquant l’identité et l’adresse du ou des témoins (cf. art. 42 al. 3 LTF  cum art. 71 LTF et 33 al. 2 PCF; arrêts 5A_972/2018 du 5 février 2019 consid. 4.1; 8C_696/2018 consid. 3.3). 

C’est ainsi que, lorsque les bureaux de poste sont déjà fermés le dernier jour du délai des méthodes alternatives pour prouver le respect respect du délai se sont développées, qui vont du traditionnel dépôt de l’acte de recours dans une boite aux lettre sous la supervision de témoins – ayant préalablement apposé leurs noms et adresses sur l’enveloppe – au plus moderne enregistrement vidéo de ce dépôt au moyen d’un téléphone portable.

Et c’est précisément sur cette dernière configuration que porte l’arrêt du Tribunal fédéral du 6B_157/2020 du 7 février 2020. Un avocat dépose un acte de recours le dernier jour du délai, soit le 3 février 2020 à 23h19. Il se filme lors de ce dépôt dans le but de prouver le dépôt du recours en temps utile. Naturellement, la boîte aux lettres en question ne sera relevée que le lendemain et le pli portera dès lors le timbre postal du 4 février 2020. Le lendemain toujours, soit le 4 février 2020, l’avocat écrit au Tribunal fédéral pour expliquer que le recours a été déposé dans une boîte postale à 23 h 19, le jour précédent, et que le dépôt a été “filmé au moyen d’un téléphone portable, afin d’en apporter si nécessaire la preuve”. Il a ajouté qu’il tenait l’enregistrement en question à disposition du Tribunal fédéral.

Réponse du Tribunal fédéral en trois mouvements (consid. 2.4) :

  1. En l’occurrence, dès lors que le sceau postal sur le pli ayant contenu le recours mentionne la date du 4 février 2020, ledit recours est présumé avoir été déposé à cette date. En conséquence, le recours est présumé avoir été déposé tardivement (cf. arrêt 8C_696/2018 précité consid. 3.4).
  2. Le pli ayant contenu le recours, non plus que le mémoire de recours lui-même, ne comporte d’explications relatives à un éventuel dépôt, à une heure tardive, du 3 février 2020.
  3. Ce n’est que le 4 février 2020, soit après l’expiration du délai de recours, que l’avocat du recourant a fait état d’un tel dépôt, tout en évoquant un moyen de preuve tenu à la disposition du Tribunal fédéral. Une telle manière de procéder – à l’instar de celle qui consisterait à indiquer à l’autorité judiciaire, pour la première fois après l’expiration du délai de recours, que le pli litigieux aurait été déposé en présence de témoins – n’est pas admissible et ne permet pas au recourant de renverser la présomption découlant du sceau postal, ni celle de tardiveté du recours (cf. arrêt 8C_696/2018 précité consid. 3.4).

Effectivement, dans l’arrêt 8_696/2018 auquel se réfère le Tribunal fédéral, il a été considéré que l’offre de preuve devait intervenir avant l’échéance du délai de recours : “es obliegt den Parteien, die Beweismittel rechtzeitig, d.h. vor Ablauf der Rechtsmittelfrist zu erbringen oder zumindest in ihren Rechtsschriften zu bezeichnen (…)” ( 8C_696/2018 consid. 3.4).

N’est-ce pas quelque peu excessif dans notre configuration ?

En effet, le pli est clairement déposé avant l’échéance du délai. La preuve de ce dépôt existe. Mais elle n’est simplement pas mentionnée dans le mémoire de recours, ni sur l’enveloppe l’ayant contenu. En tout état de cause, aurait-elle pu l’être, puisque la vidéo du dépôt existe nécessairement pendant et après le dépôt … On rappelle aussi que, dans un autre arrêt du Tribunal fédéral, il avait été retenu qu’il fallait offrir la preuve du dépôt en temps utile dans un “délai adapté aux circonstances” ( 5A_972/2018 où il était question du lendemain). Or ici, le lendemain, soit le 4 février 2020, l’offre de preuve est formulée qui, datée du 4 février 2020 – comme l’enveloppe ayant contenu le recours en définitive – arrivera entre les mains du Tribunal fédéral le 5 février 2020, soit en même temps que le recours ….

Dans ces circonstances, un tel formalisme pourrait apparaître comme étant excessif et, surtout, contraire aux intérêts du justiciable.

Et ce n’est pas tout ! En passant, le Tribunal fédéral administre une estocade supplémentaire au vaillant peuple des avocats (consid.2.5) : ” On peut encore relever que l’administration de preuves fournies en temps utile, qui serait rendue nécessaire pour déterminer si un acte de procédure a bien été déposé à la date alléguée par une partie – soit en particulier afin de renverser la présomption découlant du sceau postal figurant sur un pli -, notamment l’audition de témoins ayant assisté à son dépôt dans une boîte postale ou le visionnage d’un film censé immortaliser ledit dépôt, est propre à engendrer des frais judiciaires supplémentaires pour le Tribunal fédéral. De tels frais devraient en principe être considérés comme des frais causés inutilement (cf. art. 66 al. 3 LTF) et, comme tels, être mis à la charge de celui les ayant engendrés, par exemple de l’avocat ayant procédé de manière à fonder une présomption de tardiveté du recours“.  

You are welcome !

Morale de cette histoire : Chères Consœurs, chers Confrères, la prochaine fois qu’un client vous consulte le dernier jour du délai pour un recours au Tribunal fédéral dites lui d’aller voir ailleurs, ou alors – si vous êtes cette personne secourable que devrait être tout avocat pénaliste – renoncez à la preuve contemporaine du dépôt par vidéo pour lui préférer la bonne vieille preuve consistant à apposer les noms et adresses des témoins sur l’enveloppe contenant le recours, mais au risque de vous voir imputer personnellement des frais supplémentaires …

Qui dit mieux ?

Signature électronique peut-être (47 al. 2 LTF) …

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