Rappel important, dans un arrêt 6B_1216/2020 du 11 avril 2022, sur le principe de l’accusation.

Ce principe postule que l’autorité de jugement est liée par les faits tels que décrits par le procureur dans l’acte d’accusation ou l’ordonnance pénale. Il est ancré à l’art. 350 al. 1 CPP : « Le tribunal est lié par l’état de fait décrit dans l’acte d’accusation mais non par l’appréciation juridique qu’en fait le ministère public ». D’où l’importance pour le Ministère public d’être précis dans son acte d’accusation. En effet, si l’autorité de jugement considère que les faits reprochés à l’accusé relèvent d’une autre infraction que celle envisagée par le Ministère public, mais que les faits retenus dans l’acte d’accusation ne décrivent pas suffisamment tous les éléments constitutifs de cette infraction, une condamnation sera impossible. La seule solution est alors pour l’autorité de jugement de renvoyer l’acte d’accusation au Ministère public afin qu’il en complète l’état de fait. C’est ce que permet l’art 329 al. 2 CPP, lequel prévoit que le tribunal : « renvoie l’accusation au Ministère public pour qu’il la complète ou la corrige ». De même, l’art. 333 al. 1 CPP prévoit ce qui suit : « Le tribunal donne au Ministère public la possibilité de modifier l’accusation lorsqu’il estime que les faits exposés dans l’acte d’accusation pourraient réunir les éléments constitutifs d’une autre infraction, mais que l’acte d’accusation ne répond pas aux exigences légales ».

Or dans la pratique, il est rare que les tribunaux renvoient spontanément l’acte d’accusation au Ministère public pour qu’il complète l’état de fait. Et il est encore plus rare que le Ministère public demande au tribunal que l’acte d’accusation qu’il a établi lui soit renvoyé, probablement car cela reviendrait à admettre ne pas avoir effectué son travail avec la minutie requise ou plus simplement être passé à côté de quelque chose, ce qui peut pourtant arriver à chacun.

Cette affaire en est une bonne illustration.

A/         Les faits

En l’espèce, A. avait été libéré par le Tribunal de première instance bernois des infractions d’empêchement d’accomplir un acte officiel et de cruauté envers les animaux pour des actes réalisés sur deux moutons. Il avait en revanche été condamné par ce tribunal pour cruauté envers les animaux à l’égard d’un autre mouton, qu’il n’aurait pas soigné selon les règles de l’art, ce qui ne résultait pas clairement de l’ordonnance pénale. L’affaire avait été portée par-devant l’autorité cantonale, qui avait confirmé en tous points le jugement de l’autorité inférieure. Saisi d’un premier recours de A., le Tribunal fédéral l’avait admis, annulé l’arrêt cantonal et renvoyé la cause à l’instance précédente (TF 6B_638/2019 du 17 octobre 2019).

C’est alors que l’autorité cantonale, dont la détermination à condamner était demeurée intacte nonobstant l’arrêt fédéral, va se fonder sur les art. 329 al. 2 et 333 al. 1 CPP pour renvoyer l’ordonnance pénale au ministère public afin que celui-ci la modifie, respectivement la complète. Puis, une fois l’ordonnance pénale modifiée, le Tribunal cantonal va à nouveau prononcer un verdict de culpabilité, en tous points identique à celui qu’il avait déjà rendu. A. recourt une nouvelle fois au Tribunal fédéral, et obtient à nouveau naturellement gain de cause.

Voici pourquoi.

B/         Le Droit

Cette fois, les juges fédéraux doivent se pencher sur la question de la conformité, respectivement de la non-conformité au droit fédéral du renvoi de l’ordonnance pénale par la juridiction cantonale au Ministère public au regard des art. 329 al. 2, 333 al. 1 et 379 CPP, à la suite d’un arrêt de renvoi du Tribunal fédéral et dans les cas où il n’y a pas de partie plaignante.

Dans l’arrêt rendu à 5 cinq juges, le Tribunal fédéral commence par indiquer que l’art. 333 al. 1 CPP trouve application lorsque les faits pourraient, du point de vue du tribunal, relever d’une autre infraction que celle mentionnée par l’autorité de poursuite pénale dans l’acte d’accusation, et pour laquelle tous les éléments constitutifs ne figurent pas (entièrement) dans l’acte d’accusation. Tel est également le cas lorsque le tribunal considère que le comportement de l’auteur pourrait relever de l’infraction qualifiée, mais que le Ministère public a retenu uniquement l’infraction de base, si bien que les éléments déterminants manquent. 

Notre Haute Cour indique ensuite que, lorsqu’elle annule un arrêt et renvoie la cause à l’autorité inférieure pour une nouvelle décision dans le sens des considérants, le pouvoir de décision de l’autorité inférieure est limité aux seuls points annulés dans l’arrêt de renvoi. En effet, le Tribunal fédéral rappelle que cette solution est fondée sur l’idée que la procédure pénale est close avec le jugement de deuxième instance cantonale.

Cela étant, le Tribunal fédéral précise encore que, suite à un arrêt de renvoi, l’autorité d’appel cantonale est replacée dans la situation qui était la sienne avant de rendre son verdict. C’est pourquoi elle peut théoriquement faire application de l’art. 333 al. 1 CPP par le jeu du renvoi de l’art. 379 CPP.

Toutefois, dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral a relevé les éléments suivants dont il va résulter que l’art. 333 CPP ne pouvait pas être appliqué :

  • Dans son précèdent arrêt (6B_638/2019 du 17 octobre 2019), le Tribunal fédéral avait considéré que la juridiction cantonale avait fondé son appréciation juridique sur des suppositions et des constatations de fait qui s’écartaient des faits reprochés au recourant dans l’Ordonnance pénale. Ce non seulement sur des points secondaires, mais également sur des points essentiels. Partant, il avait admis le recours, considérant que le tribunal cantonal avait violé l’art. 350 al. 1 CPP ainsi que le principe d’accusation. Il avait également relevé qu’à aucun moment de la procédure le Ministère public, ni même les tribunaux de première et de deuxième instance n’avaient envisagé un renvoi de l’acte d’accusation pour complément.
  • Dans le cadre du nouvel arrêt (objet du présent recours au Tribunal fédéral) et au vu des considérations rappelées ci-dessus, notre Haute Cour confirme que l’autorité d’appel ne pouvait rendre un verdict de culpabilité que si les éléments du dossier le justifiaient et étaient suffisants. À défaut, il lui appartenait d’acquitter le prévenu des chefs d’accusation pesant à son encontre.
  • En effet, le Tribunal fédéral considère que, dans le cas d’espèce, un renvoi de l’acte d’accusation au Ministère public n’est pas conforme au droit fédéral (art. 333 al. 1 et 379 CPP) dans la mesure où il va au-delà de ce qui est nécessaire pour tenir compte des considérants contraignants du précédent arrêt du Tribunal fédéral.
  • Il admet ainsi le recours de A, annule à nouveau l’arrêt du Tribunal cantonal et lui renvoie la cause afin qu’il détermine si un verdict de culpabilité peut être rendu sur la seule base des éléments figurant au dossier, ainsi qu’au regard de l’Ordonnance pénale telle qu’elle a été initialement transmise au Tribunal de première instance pour valoir acte d’accusation.

Cependant, notre Haute Cour souligne que cette solution ne s’applique que lorsqu’il n’y a pas de partie plaignante (« Die Konstellation im vorliegenden Fall unterscheidet sich hier davon insoweit, als es sich um ein Verfahren ohne Beteiligung von Privatklägern handelt, weshalb eine Anklageänderung bzw. -ergänzung nur in engen Grenzen möglich ist »). Le Tribunal fédéral se réfère ainsi à un arrêt rendu récemment et destiné à publication (TF 6B_1404/2020 du 17 janvier 2022, not. consid. 2.6.7) dans lequel il a admis le recours d’une partie plaignante qui avait, sans succès, requis à plusieurs reprises de la part des instances cantonales que l’acte d’accusation soit modifié au regard des art. 329 al. 2 et 333 al. 1 CPP. Ces juridictions n’ayant toutefois pas donné suite à ses requêtes, de manière contraire au droit de l’avis du Tribunal fédéral, il se justifiait pour l’autorité d’appel – et dans cette configuration précise – de renvoyer l’acte d’accusation au ministère public selon les art. 329 al. 2, 333 al. 1 et 379 CPP.

Une telle situation n’était toutefois clairement pas réalisée en l’espèce, faute de partie plaignante.

Demeure toutefois ouverte la question de savoir quelle serait la position du Tribunal fédéral en présence d’un recours d’une partie plaignante qui demande, pour la première fois devant lui, le renvoi de l’acte d’accusation… Il est probable que dans un tel cas de figure, notre Haute Cour n’admette pas le recours en raison de la tardiveté du moyen invoqué.

C/         Conclusion

Le présent arrêt nous rappelle ainsi que le renvoi d’un acte d’accusation au Ministère public en vue d’en compléter l’état de fait est limité :

  1. Lorsqu’il intervient après un arrêt de renvoi …
  2. … et que la procédure n’implique pas de partie plaignante qui aurait préalablement et sans succès demandé le renvoi de l’acte d’accusation au Ministère public.

D’où la nécessité pour le Ministère public d’être particulièrement précis dans son acte d’accusation ou alors de ne pas avoir honte de reconnaître qu’il doit compléter son acte d’accusation et en faire la requête auprès de l’autorité de jugement en temps utile (en tout état de cause avant un arrêt de renvoi du Tribunal fédéral).

Car l’erreur est humaine. Et tout comme le prévenu – dont on a souvent tendance à considérer qu’il a à tout le moins commis une erreur – le plaignant, leurs avocats, le Ministère public et les autorités de jugement se trompent parfois.

Pour conclure avec les mots d’un auteur suisse du XIXème : “Si vous avez eu tort, pourquoi ne pas le reconnaître ? Ce sera un bon moyen d’avoir raison ” Victor Cherbuliez.

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