L’appel est la voie de droit cantonale permettant à une partie de contester un Jugement de première instance.

Quant à l’appel joint, il s’agit de l’un des outils du code de procédure pénale qui permet à une partie n’ayant pas fait appel du Jugement de première instance – et s’en étant ainsi en quelque sorte satisfaite – de profiter de l’appel interjeté par une autre des parties (on parle alors d’appel principal) pour y greffer son propre appel (appel joint).

Lorsqu’un prévenu fait appel, l’autorité d’appel ne peut pas profiter de son appel pour aggraver la peine. C’est ce que l’on appelle l’interdiction de la reformatio in pejus.

En revanche en cas d’appel du prévenu et d’appel joint du ministère public, l’autorité d’appel peut parfaitement profiter de l’appel joint pour aggraver la peine prononcée en première instance.

Sachant que l’appel joint n’existe que grâce à l’appel principal et qu’en cas de retrait de l’appel principal l’appel joint « tombe », les représentants du parquet aiment bien se servir de cet outil pour accroitre la pression sur le prévenu qui a interjeté l’appel principal, lequel pourra préférer retirer son appel plutôt que de courir le risque de voir l’appel joint du ministère public admis et sa peine aggravée.

Dans un arrêt 6B_1498/2020 du 29 novembre 2021, le Tribunal fédéral vient de poser un cadre aux potentiels abus du ministère public en lien avec la pratique de l’appel joint. L’état de fait ayant conduit à cet arrêt, très attendu du côté de la défense, est le suivant :

A. Les Faits

En première instance un accusé est condamné pour viol (art. 190 al. 1 CP), lésions corporelles simples (art. 123 ch. 2 CP), contrainte (art. 181 CP) et menaces (art. 180 al. 2 let. a CP) à une peine privative de liberté de 4 ans ainsi qu’à une peine pécuniaire de 120 jours-amende à CHF 30.-, celle-ci ayant été prononcée avec sursis pendant 3 ans. Il est ici important de rappeler que le ministère public avait alors requis et obtenu le prononcé d’une peine privative de liberté de 4 ans et 120 jours-amende.

Le Ministère public ne fait pas appel de cette condamnation.

En revanche, l’accusé fait appel de sa condamnation… sur quoi le ministère public dépose un appel joint demandant le prononcé d’une peine privative de liberté de … 5 ans et demi.

La Cour d’appel admet l’appel joint du ministère public et condamne l’accusé pour les infractions dont il avait été reconnu coupable en première instance, à une peine privative de liberté de 4 ans et 9 mois ainsi qu’à une peine pécuniaire de 70 jours-amende à CHF 30.-, celle-ci ayant été prononcée avec sursis pendant 2 ans.

Recours de l’accusé au Tribunal fédéral, qui l’admet partiellement pour les motifs suivants :

B. Le Droit

Le Tribunal fédéral commence par rappeler que, contrairement à ce qui prévaut pour les autres parties à la procédure, la légitimation du ministère public pour entreprendre une décision ne dépend pas spécifiquement d’un intérêt juridiquement protégé à l’annulation ou à la modification de la décision. Il est ainsi admis que « le ministère public, vu son rôle de représentant de la société, en charge de la sauvegarde des intérêts publics, peut en principe librement recourir, tant en faveur qu’en défaveur du prévenu ou du condamné (cf. art. 381 al. 1 CPP), sans avoir besoin de justifier au surplus d’être directement lésé par le jugement attaqué ».

Ce postulat posé, le Tribunal fédéral explique que cela vaut dans tous les cas pour un recours ou un appel principal, mais que « l’on ne saurait d’emblée admettre qu’il doive en aller de même en toutes circonstances pour un appel joint (cf. art. 401 CPP), dont le caractère exclusivement accessoire par rapport à l’appel principal et les possibilités d’en abuser supposent une approche plus nuancée de la légitimation du ministère public ».

La question de l’abus de droit en lien avec l’appel joint du ministère public est ici exprimée noir sur blanc par le Tribunal fédéral qui ne s’arrête pas en si bon chemin : « Ainsi, le dépôt d’un appel joint implique, par définition, que son auteur ait précisément renoncé à former un appel principal et qu’il s’était dès lors accommodé du jugement entrepris, à tout le moins sur le point soulevé dans l’appel joint. Émanant du ministère public, l’appel joint présente dans ce contexte le danger de pouvoir être utilisé essentiellement comme un moyen visant à intimider le prévenu et dès lors être une source potentielle d’abus dans l’exercice de l’action publique. Il en va ainsi en particulier lorsque l’appel joint est interjeté par le ministère public dans le seul et unique but de faire obstacle à l’application de l’interdiction de la reformatio in pejus, au détriment du prévenu auteur de l’appel principal (cf. art. 391 al. 2, 1re phrase, a contrario CP), et d’inciter indirectement ce dernier à le retirer »

Le Tribunal fédéral procède ensuite à l’analyse du Message du Conseil fédéral ayant présidé à l’adoption du CPP pour rappeler que le législateur avait bien vu la problématique de l’abus d’appel joint par le ministère public, qu’il pensait avoir évacuée en forçant le ministère public à comparaître aux débats dans un tel cas.

Pour le Tribunal fédéral cela n’est toutefois pas suffisant puisque : « il demeure en l’état loisible au ministère public, sans qu’une comparution à l’audience consacre une perspective réellement dissuasive, d’interjeter un appel joint à la suite de tout appel principal d’un prévenu. Cela ne saurait toutefois être admis si le seul et unique but de l’appel joint est de faire pression sur le prévenu. Un exercice adéquat et raisonné de l’action publique implique en effet, pour le ministère public, s’il est d’avis que la sanction prononcée en première instance n’est pas équitable, de former lui-même un appel principal, qui exercera alors un effet dévolutif complet (cf. art. 398 al. 2 et 3 CPP), sans que le sort de ses réquisitions dépende d’un éventuel retrait de l’appel principal du prévenu, qui aurait pour conséquence de rendre son appel joint caduc ».

Sur cette base, le Tribunal fédéral pose les principes suivants :

  1. Au regard de l’art. 381 al. 1 CPP, il n’y a pas matière à exiger du ministère public qu’il puisse justifier d’un intérêt juridiquement protégé lors du dépôt d’un appel joint.
  2. Toutefois, il y a lieu de se montrer particulièrement strict s’agissant de la légitimation du ministère public à former un appel joint lorsque le dépôt d’un tel acte dénote une démarche contradictoire susceptible de se heurter au principe de la bonne foi en procédure. Tel est le cas lorsque le ministère public forme, sans motivation précise et en l’absence de faits nouveaux dont il entendait par hypothèse se prévaloir (cf. art. 391 al. 2, 2e phrase, CPP), un appel joint sur la seule question de la peine en en demandant une aggravation, alors que ses réquisitions à cet égard avaient été intégralement suivies par l’autorité de première instance.

En l’espèce, dans le cadre de son appel joint, le ministère public avait conclu au prononcé d’une peine privative de liberté de 5 ans et demi, sans motiver cette réquisition, alors qu’il s’était pourtant limité en première instance à demander une peine privative de liberté de 4 ans, qu’il avait obtenue. Pour le Tribunal fédéral : « cette démarche consacre un comportement contradictoire dans l’exercice de l’action publique, ce d’autant plus qu’en l’occurrence, la peine requise par appel joint n’aurait pas pu être prononcée par l’autorité de première instance devant laquelle le ministère public avait porté l’accusation, dès lors qu’elle excédait la compétence de celle-là, qui était limitée aux peines inférieures à 5 ans en vertu du droit cantonal d’organisation judiciaire (cf. art. 56 al. 2 let. b et c LiCPM/BE) »

En conclusion pour le Tribunal fédéral, la Cour d’appel aurait dû constater l’irrecevabilité de l’appel joint du Ministère public, puis faire application du principe de l’interdiction de la reformatio in pejus qui empêchait la cour cantonale de prononcer une peine de privation de liberté plus sévère qu’en première instance. 

Cet arrêt est particulièrement important à trois titres au moins.

D’abord, d’un point de vue théorique et général il reconnaît que le mécanisme de l’appel joint peut être utilisé par le ministère public comme un moyen de pression pour pousser le prévenu à retirer son appel.

Ensuite, d’un point de vue pratique et concret il prend dans le cas d’espèce un ministère public en flagrant délit “d’abus d’appel joint” commis avec – et ce de manière plus préoccupante – le concours d’une Cour d’appel enfreignant vertement le principe de la reformatio in pejus.

Enfin, il clarifie certaines questions récurrentes en lien avec l’appel joint du ministère public. Ainsi :

  • Un appel joint déposé par le ministère public dans le but de faire pression sur le prévenu n’est pas admissible;
  • Le ministère public n’a pas besoin de se prévaloir d’un intérêt juridique protégé pour déposer un appel joint;
  • Mais si le ministère public pense que la sanction prononcée en première instance n’est pas équitable, il doit former lui-même un appel principal;
  • Si le ministère public ne le fait pas, son appel joint est dans tous les cas abusif et irrecevable lorsque, sans se fonder sur des faits nouveaux, il demande par la voie de l’appel joint une aggravation de la peine alors que ses réquisitions ont été suivies en première instance.

L’arrêt du Tribunal fédéral ne se prononce toutefois pas sur la configuration la plus fréquente dans la pratique, à savoir celle où le ministère public n’obtient pas totalement gain de cause en première instance, renonce à déposer un appel principal, mais profite de l’appel principal du prévenu pour déposer un appel joint et demander sa condamnation à la peine qu’il avait requise en première instance.

Si l’on suit le raisonnement du Tribunal fédéral, et quand bien même ce dernier semble attendre du ministère public insatisfait de la peine prononcée en première instance qu’il dépose un appel principal, une telle configuration ne devrait pas atteindre le seuil de l’abus de droit, à moins que le ministère public ne motive pas de manière précise les raisons pour lesquelles il sollicite une aggravation de peine ou qu’il apparaisse pour d’autres raisons que l’appel joint vise exclusivement à faire pression sur le prévenu.

A suivre …

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