Dans un arrêt 6B_801/2019 du 21 novembre 2019, le Tribunal fédéral précise la portée de l’application conjointe des fictions du retrait de l’opposition et de la notification, véritables outils de crucifixion de masse des condamnés par ordonnance pénale.

La première fiction : Lorsque un prévenu fait opposition à l’ordonnance pénale du ministère public, celui-ci peut, après avoir procédé à d’éventuelles mesures d’instruction, maintenir son ordonnance pénale et transmettre le dossier au Tribunal de première instance. L’ordonnance pénale est alors assimilée à un acte d’accusation. Mais si l’opposant fait défaut aux débats du Tribunal de première instance, sans être excusé et sans se faire représenter, l’art. 356 al. 4 CPP précise que son opposition est réputée retirée. Cette disposition consacre une fiction légale de retrait de l’opposition en cas de défaut injustifié.

En matière d’ordonnance pénale, cette fiction est toutefois problématique eu égard à la garantie constitutionnelle et conventionnelle de l’accès au juge (art. 29a Cst et art. 6 § 1 CEDH). Ainsi une telle fiction ne peut s’appliquer que si l’opposant a effectivement eu connaissance de la citation à comparaître et des conséquences du défaut. Cette fiction légale du retrait exige donc que l’on puisse déduire – de bonne foi – du défaut non excusé un désintérêt pour la suite de la procédure, en particulier lorsque l’opposant a conscience des conséquences de son omission et renonce à ses droits en connaissance de cause.

La seconde fiction : Elle concerne la notification des prononcés et se fonde sur l’art. 85 al. 4 let. a CPP. Selon cette disposition un prononcé est réputé notifié lorsque, expédié par lettre signature, il n’a pas été retiré dans les sept jours à compter de la tentative infructueuse de remise du pli. Cette fiction ne vaut toutefois que si la personne concernée devait s’attendre à une telle remise. Tel sera le cas lorsqu’une procédure est en cours, si bien que, selon les règles de la bonne foi, les parties doivent faire en sorte que les décisions relatives à la procédure puissent leur être notifiées. Ce devoir procédural naît avec l’ouverture d’une procédure et vaut pendant toute sa durée.

Sur cette base, la jurisprudence a reconnu que celui qui se sait partie à une procédure judiciaire doit dès lors s’attendre à recevoir la notification d’actes du juge. Il est ainsi tenu de relever son courrier ou, lorsqu’il s’absente de son domicile, de prendre des dispositions pour que son courrier lui parvienne néanmoins. S’il ne le fait pas, il est réputé avoir eu connaissance du contenu des plis recommandés que le juge lui adresse à l’échéance du délai de garde. Cette obligation implique que le destinataire doit, soit désigner un représentant, soit faire suivre son courrier, soit informer les autorités de son absence, soit leur indiquer une adresse de notification (ATF 141 II 429).

Les faits (ou la conjonction des deux fictions) : Dans le cas d’espèce, le Tribunal de première instance avait constaté qu’un opposant ne s’était pas présenté aux débats, ce malgré deux citations à comparaître revenues en retour avec la mention « non réclamé ». Le Tribunal de première instance avait dès lors considéré son opposition comme retirée. Pour ce faire, le Tribunal de première instance avait, sur la base de la fiction de la notification (85 al. 4 let a CPP) considéré que les citations à comparaître avaient été notifiées à l’opposant, puis sur la base de la fiction du retrait de l’opposition (art. 356 al. 4 CPP) considéré que l’absence de l’opposant aux débats devait être assimilée à un retrait de l’opposition.

En bref, le Tribunal avait fait application d’une double fiction…

Pas de problème pour le Tribunal cantonal saisi d’un recours de l’opposant, car celui-ci se savait partie à une procédure pénale et qu’il avait admis avoir joué un rôle actif dans la procédure d’opposition dont il n’ignorait pas qu’elle l’aurait conduit devant un Tribunal de première instance.  Mais c’était sans compter sur le Tribunal fédéral …

Le droit et l’interdiction de la double fiction : Une telle crucifixion par le jeu d’une double fiction est-elle admissible ? Non pour le Tribunal fédéral, qui rappelle à cette occasion un raisonnement qu’il avait déjà élaboré s’agissant d’une double fiction similaire appliquée alors à un défaut de comparution devant le ministère public :

« Dans l’arrêt publié aux ATF 140 IV 82, la cour de céans a retenu que la fiction du retrait de l’opposition à une ordonnance pénale pour défaut de comparution devant le ministère public, malgré une citation (art. 355 al. 2 CPP), ne pouvait découler de la fiction légale de la notification de la citation à comparaître (art. 85 al. 4 let. a CPP). Sous cet angle, il a été considéré que cette double fiction (fiction de la notification de la citation et fiction du retrait de l’opposition) n’était pas compatible avec la garantie constitutionnelle de l’accès au juge s’agissant des ordonnances pénales. En effet, le retrait de l’opposition que la loi rattache au défaut non excusé suppose que le prévenu soit conscient des conséquences de son manquement et qu’il renonce à ses droits en toute connaissance de la situation juridique déterminante (ATF 140 IV 82 consid. 2.3 p. 84; arrêts 6B_673/2015 du 19 octobre 2016 consid. 1.4; 6B_152/2013 du 27 mai 2013 consid. 4.5). Cette jurisprudence relative à l’art. 355 al. 2 CPP vaut également sous l’angle de l’art. 356 al. 4 CPP, dans la mesure où il s’agit de normes correspondantes (ATF 142 IV 158 consid. 3.5 p. 162). La mention, dans l’arrêt publié aux ATF 142 IV 158, selon laquelle la citation à comparaître devrait être envoyée une seconde fois lorsque la première vient en retour avec la mention “non réclamé” (consid. 3.5 p. 162) n’a aucune portée s’agissant de l’interdiction de la double fiction. Cela étant, une partie de la doctrine préconise, lorsque l’opposant à l’ordonnance pénale, dûment convoqué, fait défaut à l’audience de première instance, de mener une procédure par défaut au sens des art. 366 ss CPP, pour autant que les conditions d’une telle procédure soient réalisées (cf. JEANNERET/KUHN, Précis de procédure pénale, 2e éd. 2018, n°s 17037 et 17039a; CHRISTIAN DENYS, Ordonnance pénale: Questions choisies et jurisprudence récente, SJ 2016 II p. 130; JEANNERET/KUHN, Le défaut : défauts et des faux pas au fil du procès pénal, in Liber amicorum für Andreas Donatsch, 2012, p. 370 s.) ».

Ainsi, dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral va retenir que, par son raisonnement, la cour cantonale admettait précisément une double fiction interdite (fiction de notification selon l’art. 85 al. 4 let. a CPP et fiction de retrait de l’opposition selon l’art. 356 al. 4 CPP). Cette double fiction « n’est pas opposable au prévenu, faute de pouvoir établir une connaissance effective de la convocation et de ses conséquences. En l’espèce, le recourant n’avait pas conscience des conséquences d’un défaut à l’audience des débats devant le tribunal de première instance ».

Quant à l’argument suivant lequel l’opposant avait été préalablement été entendu par la Procureure. On ne peut pas retenir qu’il aurait renoncé à ses droits en connaissance de cause : « La mention contenue dans le mandat du ministère public concernant l’audience du 20 novembre 2018 ne permet pas de retenir que le recourant avait effectivement connaissance de la citation à comparaître devant le juge de première instance ainsi que des conséquences d’un défaut à cette audience-ci. Si, lors de l’audition du 20 novembre 2018, la Procureure a informé le recourant qu’elle maintenait son ordonnance et allait transmettre le dossier au tribunal, elle n’a toutefois pas précisé qu’il y serait alors convoqué ni ne l’a informé des conséquences d’un défaut. Cela ne ressort pas davantage de l’avis du 22 novembre 2018, adressé au recourant, informant de la transmission du dossier au tribunal ».

Bien au contraire, en formant opposition à l’ordonnance pénale et en se rendant à l’audition devant le ministère public, le recourant avait manifesté son intention d’être jugé par un tribunal. En outre, il ne ressortait pas de l’arrêt cantonal qu’il aurait adopté un comportement constitutif d’abus de droit. 

Le recours est donc admis.

Cet arrêt nous rappelle ainsi qu’il y a des limites aux fictions et qu’il y a lieu d’en faire un usage modéré en gardant toujours à l’esprit que le justiciable doit se voir garantir l’accès à un juge, droit fondamental dans l’Etat de droit. A défaut, l’écart risquerait se creuser entre le sentiment de Justice d’une part et la justice effective d’autre part, le seconde perdant en crédibilité aux yeux des justiciables et reléguant la première à une pure fiction détachée de la réalité.

Fiction : choisissez votre définition (extraits du Littré) !

  • Produit de l’imagination qui n’a pas de modèle complet dans la réalité  
  • Mensonge, dissimulation faite volontairement en vue de tromper autrui
  • Construction imaginaire consciente ou inconsciente se constituant en vue de masquer ou d’enjoliver le réel
  • Hypothèse dont on ne sait à l’avance si elle est juste ou fausse, qui permet l’élaboration d’un raisonnement
  • Fait sans aucune réalité, mais dont la loi suppose l’existence, pour constituer le fondement d’un droit

 

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