Le courage, pour un avocat, c’est l’essentiel, ce sans quoi le reste ne compte pas : talent, culture, connaissance du droit, tout est utile à l’avocat. Mais sans le courage, au moment décisif, il n’y a plus que des mots, des phrases, qui se suivent, qui brillent et qui meurent. Défendre, ce n’est pas tirer un feu d’artifice : la belle bleue, la belle rouge, et le bouquet qui monte, qui explose et retombe en mille fleurs. Puis le silence et la nuit reviennent et il ne reste rien.
 Robert Badinter

Et il en fallait du courage pour aller arracher l’acquittement des militants pro-climat ce lundi 13 janvier 2020 à Renens …

Pour rappel, Les prévenus sont de jeunes activistes militants pro-climat.  Leur objectif était de forcer la prise de conscience s’agissant des effets catastrophiques d’une certaine forme de finance sur le réchauffement climatique. En décembre 2018, ils avaient donc fait irruption, sans violence, dans une succursale du Crédit Suisse et s’y étaient adonnés à une partie de tennis (référence à Roger Federer, dont l’un des sponsors est précisément le Crédit suisse). Ils avaient refusé de quitter les lieux et avaient dû être évacués manu militari.

En droit, leur comportement était synonyme de violation de domicile selon l’art. 186 CP notamment : ” Celui qui, d’une manière illicite et contre la volonté de l’ayant droit, aura pénétré dans une maison, dans une habitation, dans un local fermé faisant partie d’une maison, dans un espace, cour ou jardin clos et attenant à une maison, ou dans un chantier, ou y sera demeuré au mépris de l’injonction de sortir à lui adressée par un ayant droit sera, sur plainte, puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire “.

Mais il est des situations dans lesquelles un comportement illicite peut redevenir licite. Tel est notamment le cas de l’état de nécessité de l’art. 17 CP : ” Quiconque commet un acte punissable pour préserver d’un danger imminent et impossible à détourner autrement un bien juridique lui appartenant ou appartenant à un tiers agit de manière licite s’il sauvegarde ainsi des intérêts prépondérants “.

C’est sur cette disposition que les prévenus ont axé leur défense, selon le raisonnement suivant : La planète doit être préservée. Elle se réchauffe et ce réchauffement nuit au climat, nuit à la vie, deux biens juridiques à préserver. Ce réchauffement intervient notamment à cause des énergies fossiles. Le Crédit Suisse, par sa politique d’investissement dans les énergies fossiles, porte une part de responsabilité dans le réchauffement climatique. L’atteinte portée à la “paix du domicile” du Crédit suisse est donc justifiée par la protection d’un bien juridique de valeur supérieure : la protection de la planète, du climat et in fine de la vie.

Bien que cohérent, ce raisonnement n’apparaissait pas, à première vue, remplir les conditions d’application de l’art. 17 CP, telles que précisées en particulier par la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de manifestations et de militantisme. En effet, le bien juridique que l’on entend préserver doit être menacé d’un dommage non seulement imminent – ce qui est assurément le cas en l’espèce – mais surtout impossible à détourner autrement. Et c’est là que l’obstacle paraissait infranchissable. Ainsi, la plupart des observateurs convergeaient pour affirmer qu’il était audacieux de considérer que la violation de domicile commise puisse être le “seul moyen de détourner” le réchauffement climatique de la Terre dont le Crédit suisse serait indirectement responsable, respectivement d’attirer l’attention sur cette problématique.

Mais on le sait, la chance sourit aux audacieux et le courage du collège de la défense a aussi contaminé le juge unique. Celui-ci a donc rendu un verdict qualifié de “courageux”, au point que certains avocats de la défense ont pu dire qu’ils “osaient à peine en rêver” …

L’état de nécessité a ainsi été admis, le Tribunal de police constatant, d’après les médias présents que : “Seule la façon de procéder choisie (par les prévenus) pouvait avoir le retentissement nécessaire”, à savoir “attirer l’attention des médias” et “faire un lien clair avec la banque incriminée et la figure populaire de Roger Federer“. L’action des militants était donc «nécessaire et proportionnée» au vu de l’urgence climatique. A ce stade et sur la seule base des coupures de presse, difficile de savoir si l’action des militants a été jugée comme la seule façon d’attirer l’attention sur le réchauffement climatique ou comme la seule façon de détourner le réchauffement climatique lui-même. La lecture des considérants du jugement – que l’on attend avec impatience – nous renseignera sur les détails du raisonnement juridique. Dans les deux cas, c’est une portée extensive de l’état de nécessité qui vient d’être donnée à la norme pénale.  Une telle interprétation tiendra-t-elle si la cause devait être portée devant les instances supérieures ? Car elle le sera. La question est ouverte et s’annonce d’ores et déjà passionnante, sachant que, comme on pouvait le prévoir, le procureur général a déjà annoncé son intention de faire appel …

Mais pour l’heure, toutes nos félicitations au collège de la défense, qui nous rappelle par cette victoire que les évidences d’hier peuvent fluctuer en fonction des bouleversements de demain, que le rôle de l’avocat est de remettre sans cesse en question ce que nous croyions être – bien ou mal – acquis, tant en fait qu’en droit, et surtout que son courage est irrésistiblement contagieux !

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