Dans un arrêt 1B_595/2022 du 23 décembre 2022 non destiné à publication, le Tribunal fédéral se penche sur la validité de la prise en compte, lors de l’examen de la réalisation des conditions de la détention provisoire par le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après : « TMC »), de preuves recueillies de manière potentiellement illicites et donc inexploitables.

Le Ministère public du canton de Zoug mène une enquête pénale contre A. pour actes d’ordre sexuel sur des enfants et pornographie. A. est notamment soupçonné d’avoir diffusé, depuis la Suisse, du contenu pédopornographiques sur des chats à des individus domiciliés à l’étranger, en utilisant la connexion VPN d’une Haute école, le 28 novembre 2021 et le 19 février 2022.

En cours d’enquête, le Ministère public avait directement obtenu de la Haute école la communication des données personnelles, l’adresse ainsi que l’identifiant de l’abonné auquel était rattachée une adresse IP spécifique utilisée le 28 novembre 2021, transmise par le Ministère public autrichien dans le cadre d’une procédure d’entraide.

Le TMC a ordonné la détention provisoire de A. admettant l’existence de soupçons suffisants de la commission d’une infraction sur la base des données communiquées par la Haute école qui auraient permis de confondre A.

A. a recouru contre cette décision estimant que les données recueillies comprennent tant des données relatives aux abonnés que des données secondaires soumises à autorisation, de sorte que les preuves recueillies sont manifestement inexploitables au sens de l’art. 141 al. 1 CPP. En outre, le Ministère public aurait dû passer par le Service Surveillance de la correspondance par poste et télécommunication (ci-après : « Service SCPT ») pour collecter les données auprès de la Haute école, la loi excluant une production directe des données entre le fournisseur de services et le Ministère public.

En effet, en cas d’infractions commises par le biais d’Internet, l’art. 22 al. 1 de la Loi fédérale sur la surveillance de la correspondance par poste et télécommunication (LSCPT) dispose que les fournisseurs de services livrent au Service SCPT toutes les indications (même rétroactives) permettant d’identifier l’auteur. Les informations doivent être obtenues par le biais du Service SCPT et ne peuvent être recueillies directement auprès du fournisseurs de service. Seules les « données relatives aux abonnés » sont visées par une telle la communication, à savoir l’identité d’un détenteur enregistré d’un raccordement de télécommunication respectivement du destinataire d’une facture. Les données relatives aux abonnés s’opposent aux « données secondaires », soit les données indiquant avec qui, quand, combien de temps et d’où la personne surveillée a été ou est en communication ainsi que les caractéristiques techniques de la communication considérée (art. 8 let. b LSCPT). Ces données secondaires ne peuvent être recueillies qu’aux conditions de l’art. 273 al. 1 CPP, la surveillance devant être autorisée par le TMC (art. 274 CPP).

Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral rappelle tout d’abord que, lors de la procédure de contrôle de la détention, le TMC exclut de son appréciation les moyens de preuve qui sont manifestement inexploitables, car l’exploitation d’un moyen de preuve est avant tout du ressort du juge du fond (consid. 5.1). Un moyen de preuve peut ainsi être pris en considération lors de l’examen de l’existence de soupçons suffisants si son exploitabilité peut être envisagée prima facie (arrêt du Tribunal fédéral 1B_159/2022 du 13 avril 2022 consid. 4.1).

En cours d’enquête, le ministère public a expliqué qu’il connaissait aussi bien l’adresse IP que le moment de la communication au moment de l’ordonnance de production des données. La Haute école a uniquement communiqué les données d’enregistrement, ce qui constituerait des données relatives aux abonnés et non des données secondaires.

A ce propos, le Tribunal fédéral avait déjà retenu que lorsque l’autorité de poursuite a connaissance d’une adresse e-mail (respectivement un raccordement à internet), les données d’enregistrement constituent de simples renseignements sur les données relatives aux abonnées, non soumises à autorisation. En revanche, si l’autorité de poursuite doit rechercher les adresses IP attribuées et les clients enregistrés (collecte d’historiques IP) ou solliciter les données relatives au trafic de communications (« qui, quand et avec qui » a été « en liaison » par internet) afin de d’identifier les raccordements et les usagers, il s’agit de données secondaires soumises aux prescriptions de l’art. 273 CPP (ATF 141 IV 108, traduit aux JdT 2015 IV 207 consid. 5.1 et 6.2).

En l’espèce, le Tribunal fédéral retient prima facie que les données personnelles, l’adresse et l’identifiant attribués à une adresse IP spécifique utilisée le 28 novembre 2021 transmises par la Haute école correspondent à des données relatives aux abonnés non soumises à autorisation. Les moyens de preuves ne semblent ainsi pas d’emblée inexploitables, de sorte que le TMC pouvait fonder l’existence de soupçons suffisants sur cette base. Notre Haute cour rappelle toutefois qu’il appartiendra au juge du fond de déterminer si les données constituent des données relatives aux abonnés ou des données secondaires.

En ce qui concerne la transmission directe des renseignements par la Haute école au Ministère public, le Tribunal fédéral constate effectivement que les données auraient dû être sollicitées par le biais du Service SCPT. Toutefois, les Juges de Mon Repos ne tranchent pas la question des conséquences juridiques du contournement des règles de l’art. 22 al. 1 LSCPT [règle de validité (art. 141 al. 2 CPP) ou simple prescription d’ordre (art. 141 al. 3 CPP)]. Le Tribunal fédéral note uniquement que ni le CPP, ni la LSCPT, ni l’ordonnance du 15 novembre 2017 sur la surveillance de la correspondance par poste et télécommunication (OSCPT) ne prévoient expressément l’inexploitabilité des renseignements qui n’auraient pas été obtenus par le biais du Service SCPT. A nouveau, le TMC pouvait donc prima facie se fonder sur ces moyens de preuve pour juger de l’existence de soupçons suffisants.

Si le raisonnement du Tribunal fédéral est convaincant, il n’en demeure pas moins que la détention du recourant pourrait in fine s’être fondée sur des preuves inexploitables, de sorte qu’elle n’aurait pas pu être prononcée si une autorité avait pu examiner avec un plein pouvoir d’examen l’exploitabilité de ce moyen de preuve. Le Tribunal fédéral avait certes déjà rappelé que le recours cantonal était admissible contre une ordonnance de refus de retirer du dossier des moyens de preuves prétendument inexploitables, de sorte que le prévenu peut toujours requérir leur retranchement en cours d’instruction (arrêt du Tribunal fédéral 1B_485/2021 du 26 novembre 2021, résumé ici : https://www.penalex.ch/jurisprudence/exigence-dun-prejudice-irreparable-pour-la-recevabilite-du-recours-cantonal-alors-non-ca-cest-seulement-pour-le-tf/). Néanmoins, le pouvoir d’examen de l’autorité de recours est à nouveau limité : le Tribunal fédéral a précisé que l’autorité de recours peut rejeter le recours si le caractère inexploitable ne s’impose pas d’emblée et qu’il convient de procéder à une pesée d’intérêts. Le juge du fond serait ainsi le plus à même d’examiner cette question à la lumière de l’ensemble des preuves.

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