C’est un arrêt de l’été dernier, mais si important pour les praticiens qu’il n’est pas inutile d’y revenir dans le détail. En effet, dans un arrêt 6B_1287/2021 du 31 août 2022, le Tribunal fédéral s’est penché sur la problématique liée à la commission de l’infraction de diffamation fondée sur les propos – potentiellement attentatoires à l’honneur d’un tiers – qu’un client tient à son avocat et que celui-ci utilise, voire doit utiliser, pour faire valoir les droits de son client.

A/         Les faits

1.          Par ordonnance du 28 mars 2018, le Ministère public de la République et canton de Genève avait refusé d’entrer en matière sur la plainte déposée par B contre A, en raison de propos que ce dernier avait tenus à son avocat, ce qui avait donné lieu à un premier arrêt du Tribunal fédéral (TF_6B_127/2019 du 9 septembre 2019, dont un extrait des considérants est publié aux ATF 145 IV 462).

2.          Par jugement du 25 novembre 2020, le Tribunal de police de la République et canton de Genève a acquitté A du chef de prévention de diffamation (art. 173 ch.1 CP) en raison des propos qu’il avait tenus à son conseil, l’avocat C, et qui étaient à l’origine d’un courrier que ce dernier avait envoyé à B. Toutefois, A a été condamné pour diffamation en raison de déclarations qu’il avait faites à D et E au sujet de B.

Seul le premier état de fait concernant les propos tenus à l’avocat C à propos de B seront discutés dans le cadre du présent commentaire.

3.          Par arrêt du 13 septembre 2021, la Chambre pénale d’appel et de révision de la Cour de justice genevoise a partiellement admis l’appel et l’appel-joint formés, respectivement par A et B à l’encontre du jugement de première instance. Le jugement du 25 novembre 2020 a ainsi été réformé en ce sens que A a été reconnu coupable de diffamation également en raison des déclarations qu’il avait faites à son avocat et qui avaient entrainé la rédaction d’un courrier adressé à B.

Les faits retenus par la Cour cantonale étaient les suivants :

En 2014, A a conclu un contrat avec la société thaïlandaise F portant sur la construction et la livraison d’un catamaran pour un montant de EUR 900’000. Un litige est survenu entre A et F s’agissant de l’exécution de ce contrat, le bateau n’ayant apparemment pas été construit et livré selon les modalités et dans délais convenus.

A Genève, à la fin du mois de juillet 2017, A a relaté à son avocat C, que B, en sa qualité d’administrateur de fait de F, avait détourné à des fins personnelles les acomptes de CHF 25’000 et EUR 750’000 qu’il avait versées pour l’achat du catamaran, puis qu’il l’avait frauduleusement incité à verser un montant de EUR 125’000 pour en obtenir la livraison.

Par la suite, le 8 août 2017, l’avocat C, agissant au nom et pour le compte de A, adressa un courrier à B, par lequel il relevait en substance que son comportement, s’il était avéré, relèverait du droit pénal. Il lui indiqua par ailleurs “avant d’entreprendre une action contre [lui] devant les tribunaux suisses (lieu de votre domicile et de celui de [s]on client ; for de l’appauvrissement au sens des dispositions pénales concernant les infractions contre le patrimoine), [A.________ était] disposé à analyser une proposition de [sa] part visant à obtenir la réparation de l’intégralité de son préjudice […]“. B prit connaissance de ce courrier le 15 août 2017. 

4.          A recourt au Tribunal fédéral contre l’arrêt du 13 septembre 2021 s’agissant des trois états de fait pour lesquels il a été condamné. Il conclut principalement à son acquittement et, subsidiairement, à l’annulation de l’arrêt et au renvoi de la cause à la Cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

B/         Le droit

1.          En droit, A conteste avoir tenu des propos attentatoires à l’honneur de B lors de son entretien avec l’avocat C à la fin du mois de juillet 2017. Il reproche également à la Cour cantonale d’avoir considéré que le contenu du courrier de l’avocat C reflétait fidèlement ses propos.

2.          Comme souvent lorsque le plaideur conteste les faits, le Tribunal fédéral rappelle qu’il n’est pas une autorité d’appel. Il est lié par les constatations de fait de la décision entreprise, à moins qu’elles n’aient été établies en violation du droit ou de façon manifestement inexacte au sens de l’art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF, à savoir de façon arbitraire au sens de l’art. 9 Cst. Lorsque l’appréciation des preuves et la constatation des faits sont critiqués en référence au principe « in dubio pro reo », celui-ci n’a pas une portée plus large que l’interdiction de l’arbitraire. Déterminerce qu’une personne a su, voulu, envisagé ou accepté relève du contenu de la pensée, à savoir des « faits internes » qui, en tant que tels, lient le Tribunal fédéral conformément à l’art. 105 al. 1 LTF, à moins qu’ils aient été retenus de manière arbitraire (arrêt commenté, consid. 2.2).

3.          Pour ce qui est de l’infraction de diffamation, le Tribunal fédéral se réfère à l’arrêt qu’il avait rendu le 9 septembre 2019 dans cette même affaire, à l’occasion duquel il avait rappelé que, pour qu’il ait diffamation ou calomnie, il est nécessaire que l’auteur s’adresse à un tiers, soit à toute personne autre que l’auteur et l’objet des propos qui portent atteinte à l’honneur. L’avocat revêt en principe la qualité de tiers au sens des art. 173 ch. 1 et 174 ch. 1 CP ; le client ne peut en effet pas se prévaloir de la seule qualité de confident nécessaire de l’avocat pour échapper à toute poursuite pénale en raison des déclarations qu’il pourrait lui faire, notamment en évoquant une partie adverse. Dans l’ignorance totale – faute d’instruction – des propos échangés entre A et son avocat C, notre Haute Cour avait alors considéré qu’il n’était pas possible d’exclure tout soupçon de commission d’un délit contre l’honneur (TF_6B_127/2019 du 9 septembre 2019, dont un extrait des considérants est publié aux ATF 145 IV 462).

Notre Haute Cour rappelle ensuite que pour apprécier le caractère attentatoire à l’honneur d’une déclaration, il faut que le juge procède à une interprétation objective selon le sens que le destinataire et non prévenu devait, dans les circonstances d’espèce lui attribuer. Ainsi, dans le domaine des infractions contre l’honneur, il est constant que les mêmes expressions n’ont pas toujours la même portée en fonction des circonstances et du contexte dans lesquelles elles sont employées. Déterminer le contenu d’un message relève des constatations de fait, mais le sens qu’un destinataire non prévenu lui confère relève d’une question de droit (arrêt commenté, consid. 2.3.2 et les références citées).

En guise d’illustration, le Tribunal fédéral cite – comme il le fait souvent – l’exemple du débat politique dans le cadre duquel l’atteinte à l’honneur ne doit être admise qu’avec retenue et niée en cas de doute. La liberté d’expression est en effet indispensable au bon fonctionnement d’une société démocratique ce qui implique que les acteurs politiques de ce système doivent accepter et s’attendre à une critique publique, parfois même violente, de leurs opinions. Néanmoins, la critique ou l’attaque relève du droit pénal si sur le fond ou dans la forme, elle ne se contente pas de rabaisser les qualités de l’homme ou de la femme politique et la valeur de son action, mais est également propre à l’exposer au mépris en tant qu’être humain (arrêt commenté, consid. 2.3.2 et les références citées).

Dans la suite logique de ce qui précède, le Tribunal fédéral explique qu’il n’est pas non plus possible de faire abstraction du contexte particulier dans lequel s’inscrit un entretien entre l’avocat et son mandant : « il faut en effet prendre en considération que, par la nature de ses activités de conseil juridique ainsi que par le secret professionnel auquel il est soumis (cf. art. 13 LLCA), l’avocat assure à son client un climat de confiance qui leur permet de communiquer d’une manière libre et spontanée, le client pouvant ainsi se livrer en faisant part de sa version des faits, mais également de ses émotions, de son ressenti et de ses opinions. Le client est d’ailleurs bien souvent en conflit avec la personne objet des déclarations litigieuses et se trouve alors animé par une certaine passion. Il en découle que les paroles tenues peuvent parfois dépasser sa pensée, tout comme une forme d’exagération est à cet égard prévisible ce dont l’avocat, destinataire des propos en cause, est parfaitement conscient » (arrêt commenté, consid. 2.3.3).

Dans un tel contexte et afin de ne pas porter préjudice à la communication libre et spontanée entre un avocat et son client, le Tribunal fédéral expose que le sens de la portée des propos tenus à son avocat ne saurait être apprécié de la même manière que celui de déclarations tenues à l’égard de n’importe quelle autre personne. De ce fait, une atteinte à l’honneur ne peut être admise qu’avec retenue, par exemple lorsque les propos en cause n’ont pas de lien avec l’affaire dont l’avocat s’occupe et ne vise qu’à exposer la personne visée au mépris (arrêt commenté, consid. 2.3).

4.          Dans le cas particulier, la Cour cantonale avait retenu que A et son avocat avaient nécessairement parlé de l’objet de l’intervention attendue de C, laquelle consistait en la rédaction et l’envoi d’une mise en demeure à B aux fins de l’amener à réparer le préjudice subi par A dans le cadre de la mauvaise exécution contractuelle relative au catamaran. Dans un tel scenario, il paraissait évident, aux yeux des juges cantonaux, que les motifs permettant de fonder une telle prétention avaient été abordés (arrêt commenté, consid. 2.4).

Toutefois, le Tribunal fédéral considère que l’instruction n’a pas permis de démontrer la teneur et le contenu précis des propos tenus par A lors de son entretien avec son avocat C. A ce titre, il relève ce qui que la Cour cantonale a fondé son raisonnement sur la teneur de la lettre du 8 août 2017 et que celle-ci contient de nombreuses réserves du type « s’il était avéré » ou « on doit dès lors craindre que » et emploie le conditionnel pour évoquer les comportements pénalement répréhensibles de B. En outre, l’autorité cantonale avait tenu pour plausible que l’intervention de l’avocat C avait été initialement mise en œuvre par des associés français de son étude internationale et que A avait préalablement consulté l’antenne française de cette étude. Dans cette configuration, les juges fédéraux n’excluent pas que l’avocat C ait pu recevoir de ses associés d’autres informations et/ou pièces du dossier, non évoquées lors de l’entretien avec A, dont il se serait néanmoins servi lors de la rédaction de son courrier (arrêt commenté, consid. 2.5).

En tout état de cause, le Tribunal fédéral expose que – même à considérer que le recourant ait pu faire état, de manière effective et non étayée, de comportements de B.__ susceptibles d’être pénalement répréhensibles – la Cour cantonale n’a pas pris en considération, dans son raisonnement, que les propos avaient été tenus dans un contexte particulier, soit lors d’une conversation entre un avocat et son client.

Les juges fédéraux relèvent aussi, sur la base du dossier, qu’à cette période la problématique liée au catamaran était extrêmement tendue, A ayant pensé, dès le printemps 2017, qu’il n’avait reçu qu’une coquille inachevée, alors que la débâcle de F semblait inéluctable. A avait néanmoins acquitté par la suite un montant de EUR 125’000.- puisqu’il ne voyait pas d’autres alternatives possibles pour obtenir la livraison de son bateau. A fin juillet 2017, A venait d’assigner F devant la justice française et sa détermination était forte.

Ainsi, se fondant sur ce qui précède, le Tribunal fédéral retient que « Dans ces conditions, il est concevable qu’au moment de relater à son conseil les tenants et aboutissants de son différend avec l’intimé, le recourant, pris d’agacement, avait exposé une version des faits empreinte d’exagération, qu’il tenait lui-même pour guère plausible. Il ne saurait néanmoins lui être reproché de l’avoir évoquée oralement à son conseil au moment précis de l’entretien, les actes reprochés à l’intimé était bien intervenus dans le contexte de son litige avec F.__ avec laquelle l’intimé était à tout le moins lié par sa qualité d’investisseur ».

Au Tribunal fédéral de considérer enfin que « les réserves émises par l’avocat dans le courrier du 8 août 2017, adressé au seul intimé, dénotent que l’avocat avait bien conscience de l’éventualité que les propos tenus par le recourant ne correspondaient pas nécessairement à la réalité et qu’ils pourraient avoir été guidés par la rancœur de son client». Certes, le fait que le recourant avait déjà désigné B par les termes d’escroc et de voleur lors de conversations avec E, pouvait laisser penser qu’il était susceptible d’en avoir fait également usage lors de l’entretien avec son avocat. Toujours-est-il que pour le Tribunal fédéral la possible évocation de ces termes, dans une telle configuration, ne suffit encore pas à consacrer une atteinte à l’honneur » (arrêt commenté, consid. 2.7).

5.          C’est pourquoi le Tribunal fédéral admet le recours de A – sur ce point seulement – et l’acquitte du chef de prévention de diffamation s’agissant des propos qu’il avait tenus à son avocat C  et que celui-ci avait retranscrit par écrit.

C/         Conclusion

Les enseignements de cet arrêt sont à nos yeux les suivants :

  • Il n’est pas impossible d’obtenir un acquittement après qu’une ordonnance de non-entrée en matière ait été cassée par le Tribunal fédéral en raison du fait « qu’il n’était, aux prémices de l’instruction, pas exclu qu’une infraction ait pu être commise » !
  • Nos juges fédéraux reconnaissent l’importance et la nécessité de tenir compte du contexte dans lequel des propos sont tenus et auprès de qui ils le sont pour déterminer s’ils constituent ou non une atteinte à l’honneur !
  • L’avocat ne peut que saluer cette décision dans la mesure où elle reconnaît, respecte et protège la relation de confiance qu’un avocat doit intrinsèquement pouvoir tisser avec son client et ce afin de défendre au mieux ses intérêts !
  • La reconnaissance de cette relation de confiance impose toutefois à l’avocat de garder à l’esprit que les propos qui lui sont rapportés sont très souvent empreint d’émotion et pourraient n’être qu’une représentation subjective d’un état de fait. L’avocat doit dès lors rester lucide dans la retranscription qu’il peut devoir faire des propos que son client lui a rapporté !

Cet arrêt constitue donc une bonne piqure de rappel…. Et nous donne envie de dire qu’après tout, le conditionnel pourrait être le temps qui sied le mieux à la robe…

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