Dans un arrêt 6B_769/2019 du 25 octobre 2019, le Tribunal fédéral rappelle combien la voie du recours au Tribunal fédéral en matière pénale est étroite pour la partie plaignante.
Paradoxalement, si les jalons d’un recours au Tribunal fédéral n’ont pas été soigneusement posés dans les premières phases de la procédure, les chances de succès sont infimes.
Les praticiens le savent, selon l’art. 81 al. 1 let. a et b ch. 5 LTF, la partie plaignante qui a participé à la procédure de dernière instance cantonale est habilitée à recourir au Tribunal fédéral, si la décision attaquée peut avoir des effets sur le jugement de ses prétentions civiles. Ces prétentions civiles sont principalement des prétentions en réparation du dommage et du tort moral au sens des art. 41 ss CO. En cas d’acquittement du prévenu, cela suppose que la partie plaignante fasse valoir dans la procédure pénale, autant que cela pouvait raisonnablement être exigé d’elle, des prétentions civiles découlant de l’infraction, étant rappelé que les prétentions civiles doivent être élevées au plus tard lors des plaidoiries devant le tribunal du première instance.
Mais il peut arriver que la partie plaignante ne soit pas à même d’élever ses prétentions civiles devant le Tribunal de première instance, dans le cas d’un dommage qui continue d’évoluer par exemple. Elle doit alors indiquer quelles sortes de prétentions civiles elle entend faire valoir et demander qu’elles lui soient allouées dans leur principe. En revanche, la partie plaignante ne saurait alors simplement se limiter à demander la réserve de ses prétentions civiles ou à signaler simplement qu’elle pourrait les faire valoir ultérieurement dans une autre procédure. Car le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de préciser que, par cette manière de procéder, la partie plaignante ne prend pas de conclusions civiles sur le fond (ATF 127 IV 185 consid. 1b p. 188). Ainsi, le recourant s’expose a voir son recours rejeté pour cause d’irrecevabilité.
En outre, l’art. 42 al. 1 LTF, impose au recourant d’alléguer les faits qu’il considère comme propres à fonder sa qualité pour recourir.
Dans cette affaire, la société recourante – partie plaignante – avait déposé plainte contre le prévenu auquel elle reprochait d’avoir confectionné de fausses quittances à l’en-tête de la recourante. Le Tribunal de première instance avait libéré le prévenu du chef d’accusation de faux dans les titres et l’appel de la recourante à l’encontre de cet acquittement avait été rejeté par la Cour d’appel du Tribunal cantonal vaudois.
A l’encontre du jugement rendu par la Cour d’appel vaudoise, la recourante dépose un recours au Tribunal fédéral. Problème : elle n’est “que” plaignante et, en cette qualité, n’est autorisée à recourir que pour autant que la décision attaquée puisse avoir des effets sur ses prétentions civiles et aux conditions restrictives exposées ci-dessus, qui n’avaient malheureusement pas été suffisamment anticipées par la plaignante.
En effet, le Tribunal fédéral va retenir que : ” En l’espèce, la procédure pénale a été menée jusqu’au stade du jugement, ce qui aurait dû permettre à la recourante, en tant que partie plaignante, d’articuler ses prétentions civiles. Elle s’est cependant limitée à demander la réserve de ses droits. Dans cette mesure, conformément à la jurisprudence précitée, la recourante n’a pas pris de conclusions civiles sur le fond “.
Certes, au stade du recours au Tribunal fédéral, la recourante avait bien vu le problème et invoqué avoir un intérêt à obtenir la condamnation de l’intimé, car cela lui permettrait d’obtenir gain de cause dans la procédure fiscale la concernant, actuellement suspendue. Elle expliquait qu’elle n’avait pas été en mesure de déposer des conclusions civiles car son dommage n’était pas connu et qu’elle ne disposait d’aucun titre concrétisant la reprise d’impôt.
Pourquoi pas, mais pas suffisant pour le Tribunal fédéral : ” Cependant, le lien entre la procédure pénale pour faux dans les titres et la procédure de reprise fiscale est connu depuis le début de la procédure pénale. En effet, à l’appui de sa plainte pénale du 12 octobre 2016, la recourante expliquait déjà que l’ACI lui avait adressé une demande de clarifications au sujet d’un débiteur ” D.________ Sàrl ” à propos de quittances à hauteur de 207’915 fr., dont l’ACI avait pris connaissance“.
Et le Tribunal fédéral de rappeler la marche à suivre dans de telles situations.
D’abord, il expose qu’en matière de faux dans les titres ” Le faux dans les titres peut également porter atteinte à des intérêts individuels, en particulier lorsqu’il vise précisément à nuire à un particulier (ATF 140 IV 155 consid. 3.3.3 p. 159; 119 Ia 342 consid. 2b p. 346 s. et les références citées). Tel est le cas lorsque le faux est l’un des éléments d’une infraction contre le patrimoine, la personne dont le patrimoine est menacé ou atteint ayant alors la qualité de lésée (ATF 119 Ia 342 consid. 2b p. 346 s.; arrêts 6B_655/2019 du 12 juillet 2019 consid. 4.3.3; 6B_1274/2018 du 22 janvier 2019 consid. 2.3.1)“.
Puis, il rappelle qu’en droit pénal économique suisse, le dommage peut prendre la forme d’une simple mise en danger du patrimoine, qui est réalisée dès lors que le comportement coupable du prévenu conduit le lésé a constituer des provisions dans sa comptabilité, et laisse entrevoir ce que la plaignante aurait dû faire dans le cas d’espèce. Ainsi :
” Dans la mesure où le dommage peut notamment prendre la forme d’une mise en danger du patrimoine telle qu’elle a pour effet d’en diminuer la valeur du point de vue économique (ATF 129 IV 124 consid. 3.1 p. 125; 123 IV 17 consid. 3d p. 22; 122 IV 279 consid. 2a p. 281), il n’était pas exclu que la condamnation de l’intimé pour faux dans les titres par l’autorité de première instance permette déjà à la recourante de faire valoir à son encontre des prétentions en réparation au sens de l’art. 41 CO (cf. arrêts 6B_1151/2014 du 16 décembre 2015 consid. 1.2; 6B_96/2014 du 30 juin 2014 consid. 1.4). La recourante connaissait ainsi le principe du risque fiscal encouru. Si elle l’estimait probable, elle devait en tenir compte dans son bilan sous la forme d’une provision (cf. ATF 123 IV 17 consid. 3d p. 22; Chambre fiduciaire, Manuel suisse d’audit, Tome ” tenue de la comptabilité et présentation des comptes “, 2014, p. 213-218). En tout état, on ne voit pas en quoi l’impossibilité de chiffrer ses prétentions avec exactitude, ou encore l’absence de titre concrétisant la reprise fiscale, empêchait la recourante d’indiquer quelle sorte de prétentions civiles elle entendait élever et de demander qu’elles lui soient allouées à tout le moins dans leur principe”
Et le Tribunal fédéral conclut:
“Il s’ensuit que la recourante ne démontre pas à satisfaction de droit la réalisation des conditions permettant de lui reconnaître la qualité pour recourir sur le fond. Dans ce contexte, la question de savoir si les infractions prétendument commises par l’intimé étaient de nature à causer à la recourante un préjudice direct et individuel peut demeurer ouverte“.
On rappelle qu’en matière de criminalité économique, la principale raison d’être de la partie plaignante en procédure est d’obtenir la réparation de son dommage. Sachant cela, on retient de cet arrêt que dans les procédures pénales économiques, il est primordial pour la partie plaignante d’alléguer son dommage, ne serait-ce que purement comptable ou par mise en danger du patrimoine. A défaut tous les efforts mis en oeuvre par la partie plaignante pour obtenir justice ou réparation risquent de s’avérer vains au terme de la procédure… dommage…